La Suisse, héritière du Saint Empire Romain Germanique

La Suisse, héritière du Saint Empire Romain Germanique

La Suisse, héritière du Saint Empire Romain Germanique

Gonzague de Reynold (1880-1970) est un écrivain hors-pair. Son œuvre prolifique est composée de poèmes, d’essais et récits historiques passionnants. Il répondra notamment en sept tomes[1] à la question « Qu’est-ce que l’Europe ? » avec cette formule : « Sur un terrain géographique, sur un soubassement préhistorique, avec un rez-de-chaussée grec, un étage romain, un étage germain, enfin un toit chrétien[2]. »

La question qui m’est posée sur la conception reynoldienne de la Suisse et du Saint Empire Romain Germanique n’est pas sans lien avec celle de l’Europe puisqu’il y a une continuité logique et heureuse entre ces derniers.

La Suisse et le Saint-Empire Romain Germanique

La période du Moyen-Âge, terme qui n’a guère de sens, est en réalité une période composée d’époques très différentes. Selon Reynold, « ce qui confère à ces périodes disparates une réelle unité, c’est une doctrine religieuse et juridique : le monde chrétien, le Pape et l’empereur, - la croix et l’aigle[3]. » Nous aborderons dans un premier temps cette dualité entre la croix et l’aigle et dans un second temps le particularisme et le christianisme.

 

La croix et l’aigle

Selon Reynold, la Suisse peut se définir par la croix et par l’aigle. La croix est le symbole de l’Église ; l’aigle est le symbole du Saint Empire. Comment arrivons-nous à une telle conclusion ?

A l’époque des Hohenstaufen, dynastie qui a donné plusieurs ducs et empereurs germaniques entre les XIᵉ et XIIIᵉ siècles, portait sur un champ de pourpre une croix droite en forme de crucifix : c’était l’étendard que les empereurs romains faisaient porter devant eux dans les combats et auquel Constantin avait ajouté le signe du Christ avec la devise : « In hoc signo vinces. » À cela, nous ajouterons que les paysans de Schwytz avaient le droit de posséder une bannière rouge et grâce à Rodolphe de Habsbourg, ces derniers purent charger leur bannière d’un crucifix à l’angle supérieur du champ. Il est à noter que le rouge est une couleur des libertés impériales.

Que ce soient des musées, des maisons patriciennes ou encore des bâtisses historiques, il est difficile d’échapper à leurs fenêtres, à leurs petits vitraux, ronds ou carrés et de couleurs différentes, aux armes des cantons, surmontées des armes impériales : l’aigle bicéphale, de sable sur champ d’or. L’aigle impériale, c’est l’aigle romaine dont les deux têtes représentent l’empire d’Orient et l’empire d’Occident.

Cette dualité, nous la retrouvons ailleurs notamment sur les armoiries de Genève avec l’aigle et la clé, le pape et l’empereur. Cette double marque, et de l’Église, et de l’Empire, se retrouve aussi sur toutes armoiries des cantons suisses avec leurs deux couleurs. Nous pensons notamment aux cantons de Vaud, du Valais, de Soleure ou encore du Jura, pour ne citer que ceux-là. Il y a aussi le drapeau de Nidwald avec sa clé et le drapeau de Schwytz, comme évoqué précédemment, avec sa croix.

L’actuel drapeau suisse est la continuité de cette iconographie d’origine impériale même si les Suisses ne le savent pas. Ce qui est fascinant à noter c’est qu’il y a une indélébilité de ce caractère. De la démocratie au radicalisme[4], rien n’aura pu l’effacer.

 

Particularisme et christianisme

 

« La carte du Saint Empire, au XIIIème siècle, nous donne l’impression d’un kaléidoscope[5]. » Selon Reynold, il y a un manque non seulement d’unité mais aussi d’ordre politique. Petite parenthèse, car il me semble bon de le rappeler, l’ordre et la discipline sont des valeurs centrales pour notre écrivain suisse dans sa réflexion sur l’armée suisse. Elle en était la quintessence : discipline et ordre avec des soldats unis derrière un drapeau.

Le premier aspect du Moyen-Âge est donc celui du particularisme avec une civilisation qui cessera de reposer sur la terre pour devenir urbaine. Les villes se multiplieront, les bourgeoisies se formeront et les corporations s’organiseront. Plus l’époque évoluera ainsi, plus le particularisme augmentera.

Au nom de la primauté du spirituel, le clergé, dirigé par les Papes, proclamera son indépendance vis-à-vis des empereurs et des rois. À cela s’ajoutera la chute des Hohenstaufen qui, d’une part, donnera naissance à des souverainetés territoriales étendues telles que le royaume de Bohème, les duchés d’Autriche, et de Bavière ou le margraviat de Brandebourg. Il y aura aussi une multitude disparate de petites communautés comme des comtés, seigneuries, évêchés et de paysans libres. Parallèle avec notre époque, les villes s’enrichissent et la féodalité s’appauvrit.

Comme le relève bien Reynold et afin de distinguer progressivement la Suisse, il faut relever l’apparition de deux Allemagnes : la méridionale, celle du Danube (Bavière, Autriche) et du Rhin, où les liens entre la France et l’Italie forment une civilisation riche et composite ; celle du Nord, restée longtemps païenne, encore barbare, militaire et agricole. Le lien ici, entre catholicisme et civilisation, est encore une fois une évidence et saute aux yeux. Et donc, à l’extrémité méridionale de cette Allemagne plus christianisée mais aussi plus morcelée, on voit se constituer la Suisse. Le morcellement et cet agrégat de monastères, de communautés urbaines ou agricoles, de châteaux ou encore de rapports entre voisins, n’empêchent pas une certaine unité et nous pourrons affirmer que la Suisse se forme. Ainsi Gonzague de Reynold notera-t-il souvent que la Suisse est née de la querelle des investitures[6].

Venons-en maintenant au christianisme. Nous avons évoqué, déjà plusieurs fois, ce dualisme très présent dans la pensée reynoldienne. Un ouvrage en particulier me fait penser à cela : La Suisse une et diverse. Comment unifier une société morcelée, une société qui se fragmente, qui s’anarchise ? Grâce à l’esprit chrétien. Selon Reynold, « plus une société se fragmente, ce qui a pour conséquence la médiocrité, plus les esprits, par réaction, tendent à l’universel.[7] »

Les hommes du Moyen-Âge avaient le sentiment d’appartenir à l’Église du Christ et à l’empire romain continué. La cité de Dieu, c’est l’Église ; la cité des hommes, c’est l’empire comme nous le rappelle Saint-Augustin. Par cette articulation entre l’Empire et l’Église où l’Église et le Pape sont toujours hiérarchiquement supérieurs à l’Empire et à l’empereur, le maintien des peuples dans l’obéissance chrétienne peut se faire. L’empereur exécute les décrets du Saint Siège et propage la foi chez les infidèles afin d’obtenir ce socle nécessaire qui permettra l’accès au paradis céleste.

Deux choses à relever : l’inquiétude, déjà à l’époque, d’une déchristianisation de l’Europe pouvant aboutir à sa disparation ; une vision complète de l’histoire prenant en compte la géographie, la philosophie et la psychologie.

 

Grâce à sa capacité de synthèse exceptionnelle, Gonzague de Reynold résume le tout dans cette formule que nous citerons en conclusion : « L'idée impériale et l'idée chrétienne donnent à l'Europe qui se forme, la première un corps, la seconde, une âme. L'idée impériale, c'est la societas civitatum dont parle saint Augustin dans la Cité de Dieu ; elle est fondée sur une conception juridique : un fédéralisme germano-romain groupant, sous la présidence de l'empereur à Constantinople, des nations autonomes, à la fois émancipées et alliées de l'Empire ; et ce fédéralisme assure la liberté des grandes routes commerciales, la circulation d'un art commun, d'une pensée commune qui s'épanouira dans les universités du Moyen-Âge et la philosophie scolastique. L'idée chrétienne, c'est l'unité dans la foi catholique, sous l'autorité d'un pontife à Rome, par l'évangélisation des barbares.[8] »

Xavier Meystre

 

[1] Gonzague de Reynold, Formation de l’Europe, sept tomes, LuF puis Édtions Plon.

1 Gonzague de Reynold, Le toit chrétien.

[3] Gonzague de Reynold La Démocratie et la Suisse.

[4] La preuve c’est un qu’un certain Meystre de famille radicale, s’y rattache. Une référence à Abraham-Daniel Meystre, aïeul éloigné.

[5] Gonzague de Reynold, La Démocratie et la Suisse.

[6] Gonzague de Reynold, Le Pacte de 1291, in Schweizer Soldat, : Monatszeitschrift für Armee und Kader, volume 6, cahier 23, 1930-31.

[7] Gonzague de Reynold, La Démocratie et la Suisse.

[8] Gonzague de Reynold, La Démocratie et la Suisse.

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