En Suisse romande, il est un éditeur qui rêve de bâtir le Gallimard de la contre-révolution. Son nom : Xavier Meystre. À la tête des Éditions Meystre, il
défend une ligne catholique et antimoderne. Rencontre.
ÉLÉMENTS : Qu’est-ce qui vous a poussé
à vous lancer dans l’édition?
XAVIER MEYSTRE. Je pourrais vous répondre simplement : rien ne m’y destinait. Dans mon enfance, il n’y avait presque aucun livre chez mes parents, et je n’ai donc pas grandi dans cet univers. Je n’avais ni le goût de la lecture ni, a fortiori, celui de l’édition. En revanche, ma famille paternelle avait une entreprise de papier peint et décoration intérieure. J’ai probablement hérité de là un sens du goût, de la matière, du toucher, et une exigence artisanale. Ce qui m’a attiré dans le livre n’est pas l’intellectuel mais le sensible: le livre comme objet incarné. Ensuite s’est imposée la dimension intellectuelle et spirituelle: en découvrant les auteurs classiques et les maîtres catholiques, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas seulement d’imprimer des textes, mais de transmettre une vision du monde. On qualifie cela de « contre-révolutionnaire », je le perçois comme un retour à l’ordre du réel, à la continuité, à la civilisation chrétienne qui a façonné l’Europe. Non une opposition crispée, mais une fidélité.
ÉLÉMENTS : À tout penser à l’aune du catholicisme, ne risquez-vous pas d’écarter les auteurs de la grande famille des antimodernes, telle que la définit Antoine Compagnon, autrement plus riche ?
XAVIER MEYSTRE.
Pas du tout — mais il convient d’établir un principe d’ordre. Le catholicisme n’est pas un filtre réducteur : il est un discernement. Il ne m’écarte pas des antimodernes ; il me permet au contraire de les situer correctement, de voir qui s’oppose au monde moderne par fidélité au vrai et qui ne le rejette que par tempérament, esthétisme ou désillusion. Le rôle du catholicisme n’est donc pas d’exclure mais de hiérarchiser.
Et en e`et j’ai utilisé ce terme lors du lancement de la maison d’édition, mais par principe, j’évite désormais de me définir « contre ». La ligne éditoriale que j’incarne est moins polémique que positive : elle vise l’intemporalité, la tradition vivante et l’esprit classique. Certains auteurs publiés sont explicitement catholiques, comme Reynold ; d’autres pas au sens strict, mais
imprégnés de catholicisme, parce qu’ils en portent encore le sou`le culturel, comme Béraud.
ÉLÉMENTS : Vous éditez Bloy, Béraud, Blanc de Saint-Bonnet, Léon Daudet, mais parlez-nous plutôt de l’immense Gonzague de Reynold et de son Europe tragique à laquelle vous offrez un nouveau printemps ?
XAVIER MEYSTRE.
Gonzague de Reynold (1880–1970) est un très grand écrivain, historien et poète suisse, issu d’une ancienne famille aristocratique, formé dans le classicisme catholique. Contre-révolutionnaire au sens fort, il défendit la permanence de l’ordre naturel et chrétien, sans polémique facile. Un temps proche de l’Action française, il s’en détacha après la condamnation, par fidélité à l’Église. Docteur de la Sorbonne, il participa au renouveau littéraire romand, avec Ramuz et les frères Cingria, et fonda en 1914 la Nouvelle Société Helvétique, pour préserver l’âme de la Suisse : son armée, sa neutralité, son fédéralisme et son héritage chrétien. Il aurait préféré vivre de sa plume, mais pour gagner sa vie il est devenu un professeur brillant, un historien de la culture qui exerça une influence forte.
Pour ma part, j’ignorais totalement son existence. Je n’ai « rencontré » Gonzague de Reynold qu’en 2018, lors d’un « cours de répétition » de l’armée suisse. Et ce ne fut ni un gradé ni un militaire de carrière qui me permit de connaître Reynold et sa pensée, mais un maître fromager qui faisait son service avec moi.
Gonzague de Reynold était un catholique fervent, mais pas insensible aux racines païennes qu’il considérait comme faisant partie de l’héritage culturel européen. On le voit dans ses œuvres poétiques, dans son essai D’où vient l’Allemagne, où il s’intéresse beaucoup aux Eddas, et bien sûr dans Formation de l’Europe, qui se termine par un volume intitulé Le Toit Chrétien, mais les religions antiques sont à l’honneur dans les volumes deux à cinq consacrés au Monde grec, à l’Hellénisme, à l’Empire romain et aux Barbares, Celtes et Germains. Cet esprit fait de Gonzague de Reynold un maître pour les futures générations de droite, permettant de surmonter l’opposition stérile entre chrétiens et païens. J’en veux pour preuve qu’un auteur comme Jean Mabire était un grand admirateur de Reynold.
ÉLÉMENTS : Pourquoi avoir donné à votre chaîne YouTube le nom d’« Haltérophilo » ? Un clin d’œil à la musculation, la vôtre incluse, intellectuelle ?
XAVIER MEYSTRE.
D’abord, c’était le désir d’unir deux réalités que l’époque juge incompatibles : la force physique et la vie intérieure. Aujourd’hui, un intello devrait être fluet ou disgracieux et un athlète est aussitôt soupçonné d’inculture. J’ai voulu montrer que l’on peut aimer saint Thomas d’Aquin et soulever des poids, contempler et s’endurcir, prier et s’entraîner. Ensuite, le projet visait à toucher un public jeune et à l’éveiller à des questions essentielles.
L’idée commode que les sportifs seraient moins cultivés n’a aucun sens, car l’école ne transmet plus aucune culture. Comme l’écrit Abel Bonnard dans Les Modérés: « L’enseignement moderne fabrique des êtres démunis de tout jugement, afin qu’ils soient prêts à recevoir tous les mots d’ordre. » Il n’est donc même plus certain qu’il y ait davantage d’illettrés dans une salle de sport que dans une bibliothèque.
À retrouver : editionsmeystre.ch ; youtube.com/@halterophilo.
Propos recueillis par François Bousquet pour la Revue Éléments

